26 mai 2018

Interview de Joanne Richoux (Les Collisions)


Les Collisions grandit si vite, le voici déjà âgé de presque deux mois ! Je me suis prise ce texte en pleine figure il y a quelques semaines et je passe depuis mon temps à le mettre dans les mains (averties) de toute personne qui croise ma route. Cela me permet ensuite de commencer de formidables conversations à base de « t'as vuuuu c'est trop bieeeen » ou de « aaaaah mais jamais j'aurais pensé qu'il allait faire çaaa ! ». Une fois l'excitation de la découverte retombée, je me suis rendue compte que la discussion la plus constructive que je puisse avoir serait avec l'autrice du livre elle-même. Je me suis lancée, et cela donne une très chouette interview que je te laisse découvrir... maintenant !

Bonjour Joanne ! Merci beaucoup d’avoir accepté cette interview. Peux-tu te présenter en quelques mots ? 

Bonjour Lucille, merci à toi de ma la proposer ! 
Moi c’est Joanne, j’ai 27 ans, je suis née en région parisienne puis j’ai migré ; d’abord en auvergne pour la crise d’ado, ensuite à Grenoble pour des études de psychologies. J’écris depuis que mes doigts sont capables de tenir un stylo, mais le réel virage professionnalisant date de l’année dernière.

Peux-tu résumer Les Collisions pour ceux qui n’auraient pas encore eu l’occasion de le lire ? 

Les Collisions, c’est l’année de Terminale Littéraire de Gabriel et Laetitia. Ils s’ennuient au lycée et sont prêts à tout pour se distraire. Le premier chapitre s’ouvre sur le jour de la rentrée, où ils découvrent qu’ils étudieront Laclos et ses Liaisons dangereuses. Aussitôt naît l’idée : jusqu’au Bac, ils joueront à Valmont et Merteuil ; le reste du casting, ils le choisiront parmi leurs camarades et professeurs… 

Ma chronique des Collisions
Tu as l’idée de ce roman depuis 2016, si j’en crois ton blog. L’histoire a dû bien évoluer en deux années ! Que racontait la première version des Collisions

À peu de chose près, la même histoire. 

Disons que la trame n’a pas bougé plus que ça, en revanche, les personnages reviennent de loin. Au départ, je les avais « jetés » sur le papier sans trop réfléchir, puisque personnellement, j’étais déjà convaincue par eux. Tibo (mon éditeur) en revanche, a trouvé qu’ils manquaient d’authenticité. Alors on a travaillé, et travaillé encore là-dessus, jusqu’à ce qu’ils soient véritablement « incarnés ». 
En fait, toute la complexité du processus d’écriture se joue ici : traduire ce qu’on a dans la tête, le rendre préhensible et convaincant pour le lecteur. 

J’avoue ne pas avoir encore eu la chance de lire ton précédent roman, Marquise. Un an le sépare de la publication des Collisions. Que s’est-il passé pour toi en tant qu’autrice pendant cette année, entre l’accueil qui a été fait à Marquise et le lancement de ton nouveau livre ? 

Eh bien, toutes les premières fois (bonjour l’angoisse) ! 

De la première critique négative à la première rencontre scolaire, en passant par la première dédicace en Salon… Comme je le disais plus haut, j’ai toujours plus ou moins écrit, or depuis un an, je m’essaie à toutes les activités périphériques qui constituent la profession d’autrice. 
Ce qu’il y a de vertigineux là-dedans, c’est que ce sont des activités très « polychromes ». On écrit en autarcie, puis on discute (beaucoup) en Salon, puis on voyage (première virée en avion ce week-end, par exemple), puis on s’enferme chez soi, puis on anime des tables rondes, puis on alimente un blog et différentes pages sur les réseaux sociaux, etc… 

Il y a un côté Mary Poppins, dans ce métier.

Joanne Richoux en (très) bonne compagnie au Festival du Goéland Masqué (Penmarc'h), mai 2018

D’après ce que j’ai pu en saisir, Marquise reprend à notre époque une vie de cour comme il pouvait en exister aux XVIIe – XVIIIe siècles. L’histoire des Collisions modernise Les Liaisons Dangereuses, en donnant à ses personnages issus de la noblesse une incarnation adolescente. Qu’est-ce qui te plait autant dans le fait de mêler des univers baroques avec le nôtre ? 
Je crois que cette intention est motivée par un amour démesuré pour le contraste.

Je le recherche partout, et j’adore enchâsser des choses qui, a priori, n’ont rien à faire ensemble – dans Marquise, une chemise à jabot et une veste en cuir par exemple. Esthétiquement, le mix XVIIIe siècle et imagerie rock était très intéressant à fabriquer. Je me suis aussi beaucoup amusée à faire cohabiter différents niveaux de langue (de l’argot et des phrases plus lyriques). Il me semble que ça crée un résultat dynamique, quelque chose de neuf et d’original, aussi. 

Gabriel et Laetitia sont deux personnages très sombres qui cachent sous des couches d’arrogance et de désenchantement de réelles fêlures. Qu’est-ce qui t’a inspiré dans la construction de leurs personnalités complexes ? 

Encore une fois, la question du contraste. 

J’ai beaucoup de mal avec les ouvrages qui proposent des personnages manichéens ; déjà parce que ça sonne faux, ensuite parce qu’on s’ennuie vite. Dans Les Collisions, je me frotte aux thèmes de la manipulation, du harcèlement. Souvent, on retrouve ces thèmes traités du point de vue de la victime qui est gentille, naïve et impuissante face à un « méchant » très très méchant, façon Orangina rouge
C’est peut-être « confortable », mais à mon sens, les personnages en nuances sont terriblement plus vrais, plus attachants. Ici, je voulais que le lecteur puisse s’identifier tantôt aux uns, tantôt aux autres, quitte à être bousculé par ses propres ressentis. 

J’ai une tendresse particulière pour Dorian, dont les faiblesses ont été parfaitement exploitées par Gabriel qui se plait à le rendre fou. Quel est ton personnage chouchou dans Les Collisions, et pourquoi ? 

Il y a plusieurs mois, j’avais vu une interview de Arnaud Cathrine pour son génial À la Place du Cœur
Il disait s’être « également distribué » dans chacun des personnages, et j’ai trouvé cette formule très élégante. Je crois que si je réponds à cette question demain, dans une semaine ou un an, chaque fois la réponse sera différente. J’ai vraiment livré quelque chose de moi dans les six personnages principaux (ça appuie d’ailleurs ma théorie selon laquelle ce livre est un Horcruxe).

D’ailleurs, où as-tu trouvé toutes les théories du complot dont Gabriel fait part à Dorian ??? 

Héhé, joker ?


Disons que j’ai eu une période où ces questions conspirationnistes m’ont passionnée. Je ne vivais pas recluse dans ma cave avec un chapeau en aluminium sur la tête, mais je lisais, je regardais des vidéos, et si certains points sont très farfelus, d’autres font énormément réfléchir, comme MK-Ultra (projet secret de la CIA, dans les années 50 à 70, qui visait à contrôler les masses à l’aide de substances hallucinogènes notamment – de nombreuses expériences ont été menées sur des sujets non volontaires). Pour mon roman, j’ai sélectionné les éléments qui me paraissaient les plus troublants. 

Après, il est possible que je sois une représentante de la race reptilienne sous couverture, à toi de juger… 

Tu cites volontiers Aaron Taylor-Johnson comme modèle pour le physique de Gabriel. Imagine une adaptation des Collisions : qui choisis-tu pour incarner les autres personnages ? 

Pour certains personnages, je vois une image nette (Gabriel, typiquement, c’est celle-ci) ; pour d’autres, c’est assez flou.

Aaron « Gabriel » Taylor-Johnson
Va savoir pourquoi, mais Laetitia par exemple est une construction mentale assez mobile ; parfois elle a des airs de Laura Smet, parfois de Cara Delevingne, d’autres fois encore je ne la vois pas du tout. Pour Solal, je dirais Cameron Monaghan (Shameless, Gotham). Un côté Evan Peters chez Dorian (spécialement dans la première saison de American Horror Story), peut-être Hannah Murray pour Ninon (à cause, évidemment, de la formidable série Skins). Amandine Brugnon, la prof d’Arts Plastiques, c’est spécial. Je vois LA prof d’Arts Plastiques que j’avais quand j’étais en sixième. D’ailleurs si elle tombe sur le roman un jour, ou sur cette interview, eh bien… Merci Mademoiselle !

Le casting des Collisions !
Quelle œuvre littéraire classique ton toi de Terminale aurait pu rejouer dans sa classe ? 

Sans hésiter, Roméo et Juliette. J’étais une grande passionnée, je lisais cette pièce en écoutant les BB Brunes (Roméo était un thème central dans leurs chansons) et je regardais en boucle certaines scènes de l’adaptation de Baz Luhrmann, Romeo + Juliet. Cette œuvre a clairement bercé mes 17 ans. Pour moi elle a un goût d’orage, de parfum de garçon et de fumée de cigarette. 

Les Collisions est sorti dans la collection Exprim des éditions Sarbacane qui se destine plutôt à un public ado-adulte. C’est une histoire magnifique, mais violente. Comment imagines-tu le lecteur « type » de ton histoire ? 

En fait, je ne crois pas tellement à la notion de « lecteur type ». Il pourrait s’agir d’une jeune fille de 17 ans, bien sûr, mais aussi d’un homme de 35. Je crois que j’écris pour qui mes mots résonneront, simplement. 

En librairie, on classe tout de même Les Collisions et les autres romans de la collection Exprim en jeunesse. Sachant cela, t’es-tu interdit certaines choses lors de son écriture pour ne pas choquer un public adolescent sensible ? 

Non, je crois d’ailleurs que ce n’est pas protéger les jeunes de leur éviter certains sujets. 
Déjà parce que s’ils veulent aller vers des choses « taboues » (sexe, violence, drogues), ils le feront avec ou sans mon aide. Ensuite parce qu’ils méritent une littérature qui les fasse vibrer ; à leur servir des textes trop policés, on les envoie de toute façon vers la littérature générale. Littérature qui ne se refuse rien et qui a bien raison. Enfin, ce n’est pas mon rôle d’autrice de savoir ce que le lecteur est capable de lire ou non, et ce point se joue en librairie, lorsqu’il feuillette mon livre.
À lui de voir, à ce moment-là, s’il est prêt pour mon univers… 

Quels sont tes prochains projets ? 

En ce moment, mon prochain roman est en lecture sur le bureau de Tibo, alors je ne sais pas si je peux en dire quelque chose (outre le fait qu’il sera dépaysant… arf… allez, je craque… road-trip… sixties… États-Unis). Ensuite il y a un projet de bouquin fantastique un peu barré (Alice au Pays des Merveilles rencontre les blousons noirs des années 50). Enfin, de la littérature générale, aussi. 

Mais tout ceci est bien entendu secret, pas vrai ? ;)

Merci pour cette interview, Joanne ♥

1 commentaire:

  1. Très belle interview, merci beaucoup pour les questions et réponses !! J'ai adoré Marquise et Les Collisions m'a emportée loin... J'ai hâte de découvrir le prochain livre de l'autrice du coup :D

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