20 juin 2017

3 personnages enragés de la littérature ado

RAGE : État d'irritation, de colère, de fureur qui peut porter à des actes excessifs. (Larousse)

La rage emporte, brûle et détruit. Émotion terrible, c'est aussi une maladie virale associée aux chiens et à leurs morsures. Rage, c'est une histoire d'Orianne Charpentier, ce dans quoi Marion se jette dans La fille seule dans le vestiaire des garçons et ce qui ronge Blaise, du livre Des poings dans le ventre. Et si on faisait connaissance avec ces personnages enragés ?


Rage, Orianne Charpentier

Rage, c'est le surnom d'une jeune femme réfugiée en France. Son passé on le devine au-delà de la douleur, écorché par la guerre et son exil forcé. Pour se protéger, Rage s'est enfermée en elle-même et se méfie de tous. Mais lors d'une soirée, elle se retrouve face à une chienne blessée, un pitbull que tout le monde croit enragé. Rage se reconnait dans cet animal, dans sa souffrance et sa sensation de ne pas être à sa place. Sa rage se transforme en Rage-de-vivre et en combat pour la survie de cette chienne.

Des mots tranchants. Des phrases courtes. Une nuit hors du temps où tout va changer. 100 pages qui dressent un portrait dur de cette jeune femme qui ne laisse rien transparaître. On devine néanmoins nombre de choses sur ce qu'elle a pu vivre, au détour d'un mot ou d'une phrase. 100 pages pour porter un regard sur l'immigration, l'intégration et tout ce qui en découle. Quelques autres personnages accompagnent Rage, comme Artémis qui a su renaître de ses cendres, ou Jean qui voit en elle une Antigone incompréhensible. Dans ces 100 pages, on parle aussi de la place des femmes, du courage et de la paix. Rage, ça écorche, c'est beau et c'est très, très fort. 

Des poings dans le ventre, Benjamin Desmares

78 pages. La rage, c'est vif, ça n'attend pas. Comme Blaise, notre personnage, qui n'attend pas pour donner toujours trois coups directs dans le ventre de ses victimes : « Ba-Ba-Bam ». Sa violence déborde, et cogne. Cogne, encore et toujours. Blaise, on le devine, est brisé. Il lui manque quelque chose. Alors il laisse libre court à sa rage, sans que personne ne puisse pénétrer ses barrières. Il est le danger. Lorsqu'il est renvoyé de son collège, sa descente aux enfers commence. Soit Blaise laisse sa rage le submerger, soit il apprend à baisser sa garde pour trouver l'apaisement. 

J'avoue souvent utiliser l'adjectif « percutant » pour qualifier des livres, mais il me semble d'autant plus justifié pour Des poings dans le ventre. Outre sa violence sourde qui ne laisse pas indifférent, c'est par sa narration que ce livre est saisissant. Au lieu d'utiliser un « je » interne, Blaise dit « tu ». Cette deuxième personne du singulier c'est lui, c'est le lecteur, c'est sa rage. On se sent forcément impliqué dans sa lutte contre lui-même et les autres, pris à parti par ce « tu » rageur. Et pendant 78 pages haletantes, ce « tu » nous percute autant que les poings de Blaise, jusqu'au final impeccable. 

La fille seule dans le vestiaire des garçons, Hubert Ben Kemoun

Marion est une collégienne catégorisée « intello », plutôt discrète. Lors d'une altercation avec Enzo, son carnet noir dans lequel elle note toutes ses pensées et poésies, disparaît. Marion est persuadée que le garçon est responsable de ce vol et le retrouve hors du collège pour qu'il le lui rende. Elle découvre alors un Enzo différent, plus gentil et compréhensif... et plus séduisant. Quand il l'embrasse, Marion n'en revient pas. Et elle n'en revient pas non plus quand Enzo et sa bande de potes révèlent leur vrai visage : ils ont filmé Marion à son insu et tout cela n'était qu'une vaste blague destinée à la ridiculiser. La vidéo est mise en ligne et commence pour la jeune fille un harcèlement terrible au collège et sur Internet. Impossible pour elle de communiquer avec sa mère qui se débat avec ses propres problèmes, ou avec son père qui a coupé les ponts pour fuir en Amérique du Sud, ou son petit frère bien trop jeune pour comprendre ce qu'elle vit. Ne lui reste que la rage et la vengeance.

Si le thème est très fort, il manque cependant quelque chose à l'histoire. Il me semble que le mot « harcèlement » n'est jamais écrit ; pourtant, c'est ce que Marion vit avec cette vidéo, et même précédemment quand Enzo tente de l'embrasser de force au collège, dans le premier chapitre. Après sa vengeance, Marion se retrouve dans une situation de peur constante ; paranoïaque, elle voit des menaces partout. Cela s'appelle du stress post-traumatique, un trouble développé lorsqu'une personne s'est retrouvée confrontée à une situation traumatique (agression, menace...). Les personnes qui en sont victimes peuvent mettre des mois voire des années à s'en remettre, et avec l'aide d'un professionnel. Le mot n'est jamais écrit dans le livre et Marion ne parle à personne de ce qui lui est arrivé. Certes, les adultes autour d'elle ne semblent pas ouverts au dialogue, mais il aurait été salutaire qu'elle trouve une oreille bienveillante, au moins dans le cercle d'amis qu'elle finit par se créer. Et, dernier problème, on assiste à un moment du moment à une scène d'agression sexuelle. Là encore, aucun mot n'est posé sur cette situation, un délit puni par la loi en plus d'être traumatisant. Les agresseurs s'en tirent sans aucune condamnation car tout est passé sous silence. Dommage d'éclipser de telles choses dans un roman destiné aux adolescents qui peuvent se retrouver dans des situations comme celles-ci. Dommage, voire même problématique, car comme qu'elles ne sont pas dénoncées, elles peuvent passer comme excusables ou pire, normales. 

Rage d'Orianne Charpentier • France  Gallimard Jeunesse Scripto • 7 € • 112 pages • mars 2017

Des poings dans le ventre de Benjamin Desmares • France • Éditions du Rouergue • 8,70 € • 78 pages • janvier 2017
Facebook du Rouergue jeunesse

La fille seule dans le vestiaire des garçons d'Hubert Ben Kemoun • France Flammarion Jeunesse « Émotions » • 13 € • 217 pages • 2013

5 commentaires:

  1. Les deux premiers livres dont tu parles me tentent beaucoup, le dernier un peu moins malgré les thèmes abordés qui ont l'air fort, mais les petits points négatifs que tu as relevés ne me plaisent guère^^'

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    1. Sur le harèlement / vengeance, d'autres livres sont beaucoup plus intéressants, comme Revanche (j'en parle ici http://ronde-des-livres.blogspot.fr/2014/11/revanche-cat-clarke.html), et il y a aussi la série 13 Reasons why !

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  2. Des points dans le ventre me tente énormément !!

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    1. Il est très, très fort, j'espère que tu auras l'occasion de le lire !

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  3. De mon côté je n'ai pas été convaincue par Des poings dans le ventre, enfin je reconnais que ce livre à un certain truc mais bon je suis tellement différente du personnage que je n'ai pas accroché, mais je suis quand même contente de l'avoir lu, j'ai testé un univers totalement nouveau pour moi! Et j'ai Rage à la maison, j'ai hâte de le lire!

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